25.4.13

L'Art Juif

"Existe-t-il un art juif?" - Propositions


Il existe, dans l'art contemporain, un courant qu'on peut qualifier d'art juif

Remarques préalables :

1. Nous évoquons ici l'art moderne ou contemporain. Ce qu'on appelait autrefois l'art judaïque (objets, livres ou bâtiments servant pour le rituel) relève d'une toute autre logique. Les peintres et sculpteurs qui représentent des motifs juifs n'entrent pas dans notre sujet.
2. L'art juif n'est pas sans lien avec des personnes juives. Toutefois de nombreux artistes juifs ne s'inscrivent en aucune façon dans l'art juif; et certains artistes non juifs s'y rattachent. L'appartenance communautaire n'entre pas en jeu dans ce dont nous parlons.
3. L'art juif d'aujourd'hui prolonge une tradition multimillénaire.

La notion d'art juif est soit contestable, soit énigmatique. Elle est contestable comme tout "art" soit-disant national ou ethnique, s'il n'est qu'un prétexte à l'affirmation d'une identité collective. Elle est énigmatique si elle se réfère à l'héritage juif, car cet héritage n'est réductible à aucune définition simple ou représentable. Entre la pensée, la religion, la tradition, voire l'expérience ou la psychologie juive et l'art, la relation est obscure. Chaque oeuvre singulière est à lire ou interpréter singulièrement; son rapport au judaïsme n'est qu'une de ses dimensions - mais elle existe, on ne peut pas s'en débarrasser, pas plus qu'on ne peut se débarrasser des juifs.
Partons de la question suivante : si Barnett Newman n'avait pas été juif, aurait-il peint de la même façon? Et Chagall? Et Soutine? Et Rothko? Et le peintre des fresques de Doura Europos? Et sans l'héritage juif, Anselm Kiefer ou Gérard Garouste - voire Oscar Kokoschka (qui n'étaient pas juifs) - auraient-ils peint de la même façon? Nous répondons résolument par la négative. Cela ne prouve pas qu'il y ait un art juif, cela prouve que la judéité n'est pas neutre. Le biais qu'elle instaure peut être pris sous différents angles.
Allons plus loin. S'il peut y avoir un art juif, c'est parce que art et judaïsme ont au moins un point commun : ils sont irréductibles à toute identité stable, à toute définition univoque et définitive. En ce sens l'art contemporain ressemble au judaïsme. On n'arrive pas à le situer, ni par le style, ni par les Ecoles, ni par les idées, ni par une forme quelconque. Il concentre en lui l'altérité. On ne peut pas le résumer à des critères ni à des valeurs. Il se dilue, se dérobe à toute saisie conceptuelle, comme la couleur. Il n'est pas étonnant qu'une telle indétermination fasse converger sur lui la haine des bonnes âmes.
Ce n'est pas la présence de Dieu qui est en cause, c'est son absence. C'est elle qui conduit au flottement, au mouvement, à l'étrangeté, à l'abstraction, à l'énigme inscrite dans les choses et les visages, au messianisme. Comme aucune idole ne peut venir à la place de ce dieu absent, c'est un souffle ou un silence qui le remplace, une présence intemporelle, et tout est chamboulé. Plus il s'éloigne, plus la mystique est désirable. La Cabale ne dit pas autre chose.
Une des dimensions de l'espace vocal contemporain est sa mobilité. Les juifs y trouvent leur place, car l'un des rares traits stylistiques de l'art juif est son rapport au mouvement.
En tant qu'il relève de la pensée juive, l'art juif n'est pas inscriptible dans l'histoire de l'art; inversement en tant qu'il s'inscrit dans l'histoire de l'art, il résiste à la pensée juive. L'art juif ne le sépare pas des autres peuples; au contraire, il l'en rapproche.
On critique aujourd'hui les juifs pour avoir trop de racines; on les critiquait autrefois pour n'en avoir pas assez.
S'il faut éviter l'idolâtrie, ce n'est pas seulement à cause de l'interdit biblique. C'est que tout art risque d'y chuter s'il tombe dans le cliché ou dans l'instrumentalisation. Tout art prend le risque de la falsification. La pétrification de l'idole et l'imprécision de l'image ne tiennent pas (ou pas seulement) à des motifs religieux. De même la question de l'image n'a jamais été définitivement tranchée dans la tradition juive, elle reste terriblement ambivalente à notre époque.[A]

Un courant de la peinture exprime à sa façon une judéité sans judaïsme

Marc Restellini a soutenu dans un panneau affiché dans l'une des salles de l'exposition la Pinacothèque de Paris en 2007-08 que, puisque Soutine avait rompu toute attache avec la religion et la communauté juives, son art ne pouvait pas être juif. C'est oublier que, depuis Spinoza en passant par Freud, Marx, Derrida et quelques autres (pas des moindres), les Juifs sans religion ont été innombrables. Certains ont renié leur judaïsme (Marx), d'autres non (la plupart des autres). Ils ont renoncé aux liens communautaires, mais ont continué à se dire Juifs. C'est là que Soutine se situe, en un lieu où l'expérience de l'être-juif est double : ancrée dans une histoire / détachée de cette histoire. Chacun témoigne à sa façon d'une duplicité insurmontable entre ancrage et détachement, et aussi de la force de l'expérience juive, de son caractère inarrêtable. Le fait qu'Albert Einstein et le cardinal Lustiger se soient tous deux, obstinément, affirmés Juifs, malgré leur divergence radicale d'opinion, montre la complexité du problème. Comme le dit Freud : Qu'est-ce qui est encore juif chez celui qui a renoncé à tout le patrimoine de ses pères? Beaucoup de choses, et probablement l'essentiel. Notre hypothèse est que Soutine donne une expression plastique à cet essentiel dont Freud reporte l'explication scientifique à des jours meilleurs.
Il y a, chez Soutine, coexistence d'un sentiment d'appartenance et d'une auto-destruction. J'ai abandonné dieu. Je suis le dernier de la lignée, la transmission s'interrompt avec moi, donc je dois disparaître comme tous ceux qui me ressemblent : les errants, les paumés, les malades et les fous. La tempête s'est levée. Une apocalypse nous emporte. Je n'invoque plus dieu dans la langue hébraïque, mais je continue à l'invoquer en peinture. Sa vengeance terrible a déjà commencé. Sans cette douleur et cette terreur, on ne peut expliquer ni les plaies ouvertes, ni les oreilles déformées, ni les paysages chaotiques.
Soutine, comme d'autres artistes juifs post-religieux, illustre quelques particularités de la religion juive : amour des livres, attrait vers l'écoute ou la prière. Mais ce n'est pas l'essentiel. Comme la Cabale, il est attiré par le début et par la fin. Il tient à montrer cette différence originaire vers laquelle nous tendons. Il n'a pas trouvé d'autre moyen pour rester en vie (sans garantie de réussite). De même que les sionistes laïcs réalisaient sans le vouloir le messianisme religieux, les artistes juifs athées donnent sans le chercher au judaïsme un surcroît de spiritualité.[B]

Les paysages soutiniens sont des espaces d'invocation

Dans les paysages de Soutine, un mouvement impérieux affecte l'espace. L'horizon est bas et les ouvertures sont rares. La terre se mêle aux cieux et la bouleverse de l'intérieur (à moins que ce ne soient les cieux qui s'effondrent en elle). Toutes les oppositions sont déstabilisées et remplacées par des différences incompréhensibles. Les maisons se mélangent aux arbres, les personnages s'aplatissent sur les routes ou s'élèvent au-dessus des champs, les branches traversent le sol. Un mouvement inintelligible (celui de la khôra) déplace tous les êtres.
D'où vient ce phénomène? Supposons qu'il provienne d'une malformation de l'oreille interne de Haïm Soutine. Cette malformation menace moins la verticalité de son corps que celle de sa vision. Aucune symétrie, aucune harmonie n'y résiste. Toutes les oreilles sont emportées, celles des hommes en prière comme celles des philosophes et des pâtissiers. Il ne s'agit pas d'une malformation physique ni congénitale, mais de l'envahissement de l'espace par un désir d'entendre. L'angoisse inexprimée va là où elle peut, dans les rues torturées ou dans les mains nouées.
La chair est le pendant de cet espace. Le rouge y est moins la couleur du sang que celle du l'appel, qui ne coagule jamais.[B1]

Les lieux n'ont plus de nom

Céret, dans le regard de Soutine, pourrait être qualifié par antiphrase de non-lieu. Il y règne un certain désordre, mais pas un chaos absolu. On y reconnaît encore des maisons (vers la gauche) ou des arbres (vers la droite). Tout se passe comme si Soutine avait voulu prendre la place de Socrate dans le Timée. Il se tient à l'écart pour nous parler d'une chose qui n'a pas de nom à une place qui précède toute place déterminée. Etant ce qu'il est (un peintre, un locuteur), il utilise le langage visuel courant : un paysage, des arbres, des habitations, un être humain vertical. Mais ce qu'il en fait n'a rien de courant. C'est insituable. On peut le dire immanent ou transcendant, c'est en-deça de ces distinctions. Il signe de son propre nom ce qu'il nomme sans le qualifier.

L'espace le plus ouvert, c'est celui des livres

Selon certains spécialistes de Soutine, l'homme portraituré serait M. Racine, le même qu'il a représenté dans l'acte de prier. Faut-il associer lire et prier? Soutine était un lecteur. Peut-être, pour lui, la lecture était-elle la seule façon de prier qui lui restait.
Ce philosophe n'est pas tourné vers la nature. Il n'est pas non plus tourné vers nous (il nous tourne le dos). N'étant pas confronté à un univers hostile, il n'a pas peur. Les livres le rassurent. Il semble sourire, ce qui est plutôt rare chez Soutine. Le fond de l'espace est noir, mais pas clos; c'est un noir qui ouvre, un fond sur lequel un sens peut s'écrire (ce noir est à la place du blanc de Jabès).
Le livre, ici, est étudié, feuilleté. Il n'est pas seulement lu comme celui de Van Gogh ou gardé comme celui de Kiefer (aimanté vers le passé), il ouvre l'espace.
Ce tableau est unique dans l'oeuvre de Soutine : rare moment d'espoir.[B2]

Portrait de Haïm Soutine assis (Amedeo Modigliani, 1916)

Soutine fait de la main droite le signe des Cohanim (prêtres). Les deux mains sont disposées d'une façon qui ressemble à l'imposition cabalistique (celle qui aurait été utilisée, depuis Moïse, pour la transmission de la prêtrise). Peut-être les Juifs de l'Ecole de Paris se faisaient-ils ainsi connaître aux autres peintres? Les mains, posées à plat [à comparer aux mains d'Artaud la veille de sa mort] montrent un Soutine apparemment tranquille, apaisé, mais prêt à bondir. Il pose, il est posé là sur sa chaise. Ses mains, qui font le signe passif de la bénédiction, sont en arrêt, mais c'est provisoire : bientôt l'autre Soutine, celui de la chair putréfiée et du mouvement imprévisible, va sortir de sa boîte.
Soutine et Modigliani étaient des amis proches. C'est Modigliani qui a présenté à Soutine le marchand polonais Zborowski, son premier acheteur avant Barnes.

Le principal motif de la peinture soutinienne est sa propre destruction

Soutine avait une tendance à l'autodestruction. En arrivant à Paris, il a tenté de se pendre, et son comportement ultérieur ne montre guère plus de confiance en soi. Ses tableaux sont torturés, convulsés. Il est obsédé par la mort, le sang, les cadavres. Un grand nombre de peintures sont des natures mortes - vocable qui leur convient parfaitement. Ses paysages, trop vivants, saturés, sont menacés par un souffle, une tension insoutenable, avec des personnages jetés par terre. Il a tendance à écraser, brûler, lacérer ses peintures, dont il est toujours insatisfait. Un jour, il déclare (cité par Françoise Monnin) : "Ce que vous voyez ici ne vaut rien, ça n'est que de la merde, mais c'est quand même quelque chose de mieux que les tableaux de Modigliani, de Chagall et de Krémègne. Moi, j'assassinerai un jour mes tableaux, alors qu'eux, ils sont trop lâches pour en faire autant".
[Curieux de noter que ces peintres qu'il propose de détruire sont tous juifs. En aurait-il dit autant de Rembrandt ou de Goya? Non, car en détruisant sa peinture, c'est lui-même qu'il détruisait, lui et ses frères juifs].[B3]

Rien dans l'art de Soutine ne se rapporte au judaïsme, et pourtant son art est qualifié d'art juif

Pourquoi l'art de Soutine est-il qualifié d'art juif alors que rien dans son oeuvre ne s'y rapporte? Que signifie l'expression "art juif" en ce début du 20ème siècle? Autrement dit, quel type d'art juif un juif est-il autorisé à produire? Autant de questions auxquelles le personnage de Soutine et l'oeuvre de celui-ci nous invitent à répondre.
Soutine, rappelons-le, fait partie d'une pléiade d'artistes d'origine juive venue de Russie ou d'autres pays d'Europe centrale soumis à l'hégémonie ou à l'influence russe pour s'installer à Paris et plus particulièrement à Montparnasse.
Une argumentation traditionnelle consiste à avancer l'argument que la religion juive consiste en un monothéisme strict, qui refuse toute idole, toute représentation du divin sous quelque forme que ce soit. Cette analyse serait confirmée par le fait que les Juifs ont peu produit en matière d'arts plastiques, en raison de ce monothéisme sans concession.
Aussi séduisant soit-il, ce raisonnement n'en est pas moins faux. Il n'y a en effet aucun rapport entre le refus de l'idolâtrie et l'absence d'artistes juifs dans le domaine des arts plastiques. Le talmud est clair. Il distingue sans ambiguité l'idolâtrie - avoda zara - de la recherche esthétique - noi. Il s'agit de deux notions distinctes.
Cependant Soutine reste probablement la figure la plus emblématique de cette interprétation. Toute la légende sur l'artiste repose en effet sur ce paradoxe qui est d'ailleurs au coeur de sa vie et de son oeuvre : après avoir subi les persécutions de ceux qui, dans sa Russie natale, lui affirmaient qu'il enfreignait la Loi en peignant et avoir choisi de quitter son pays pour Paris, Soutine se retrouve confronté à la critique française antisémite qui lui reproche de peindre mal et d'avoir un art inacceptable pour des raisons analogues. Apparaît ainsi une sainte alliance entre les juifs orthodoxes et les antisémites les plus virulents. A n'en pas douter, cette situation a perturbé l'artiste tout au long de sa vie, que ce soit dans son enfance puis face à la critique parisienne développant une théorie de névrose judaïque.
Le malaise de la critique vis-à-vis de Soutine cache une autre angoisse d'ordre politique. Il existe en effet à cette époque une volonté d'auto-détermination de la diaspora juive quie st certes un phénomène clandestin, mais que Soutine ne peut pas avoir ignoré. Son absence de sympathie affichée, voire d'activité au sein de ces actions nationalistes, signifie-t-elle qu'il les refusait? Difficile de le savoir, mais c'est assez probable. N'est-il pas intéressé par la politique, est-il en opposition à ces mouvements? Nous n'avons aucune réponse à ces questions. Une chose est sûre. Soutine ne se sent pas concerné par la question du judaïsme dans l'art. En se tenant à l'écart de tous les activismes politico-religieux de l'époque, il a clairement marqué son refus d'une appartenance à un mouvement lui offrant une telle identité. Bien au contraire, son art se matérialise uniquement par une iconographie qui fait référence aux artistes français tels Corot, Courbet, Cézanne ou encore à Rembrandt ou au classicisme européen. Par conséquent Soutine ne saurait être qualifié de peintre juif ni même judaïque.[B4]

Réponse. Marc Restellini part d'un paradoxe. Pourquoi Soutine serait-il qualifié d'artiste juif, alors qu'il n'avait aucune pratique religieuse, aucune conviction nationaliste et qu'en outre rien, dans le contenu de ses oeuvres, ne semble se rapporter au judaïsme? Restellini prend ce rien à la lettre. Si rien dans l'oeuvre de Soutine ne se rapporte apparemment au judaïsme, c'est qu'il n'y a pas de rapport.
Pour lui répondre, je voudrais d'abord rappeler une phrase célèbre de Freud à propos de son propre judaïsme : Qu'est-ce qui est encore juif chez celui qui a renoncé à tout le patrimoine de ses pères? Beaucoup de choses, et probablement l'essentiel. Si l'on compare le cas de Soutine à celui de Freud, le point de vue de Marc Restellini reviendrait à soutenir la thèse suivante : Sigmund Freud était un psychologue autrichien qui n'avait rien à voir avec le judaïsme, car il n'avait pas de pratique religieuse et ne soutenait aucun mouvement nationaliste. Il est clair que dans le cas de Freud, cette thèse est insoutenable. D'abord Freud s'est largement exprimé sur le sujet, et s'est déclaré Juif sans ambiguité. Ensuite, des travaux innombrables prouvent sa filiation avec la pensée talmudique. Ce n'est pas un hasard s'il a commencé par interpréter les rêves, les lapsus et les blagues.
En ce qui concerne Soutine, qui n'a pas laissé d'écrits à ce sujet, est-elle défendable?
A vouloir trop prouver que le judaïsme de Soutine n'a aucun rapport avec sa peinture, Restellini tombe dans l'amalgame. Selon lui, les juifs orthodoxes et les antisémites virulents convergent. En quoi? Par leur condamnation de la peinture de Soutine. Que les motifs de cette condamnation soient radicalement divergents : entre ceux qui attaquent Soutine car il serait incapable de représenter "correctement" le monde (les antisémites) et ceux qui s'opposent par principe à toute représentation de ce qui est à l'image de Dieu (les rabbins), il y a pourtant un sérieux écart. Le reproche est exactement inverse! Si cet écart ne compte pas pour M. Restellini, c'est parce qu'il tient surtout à faire une démonstration politique. Si Soutine est attaqué sur sa droite et sur sa gauche, c'est qu'il est au milieu, donc il est des nôtres. Voilà ce qu'il faut à présent démontrer : que Soutine est un artiste français, bien de chez nous, laïc de préférence, inspiré surtout par nos maîtres et accessoirement par quelques grands artistes voisins (Rembrandt) devenus des classiques. Rude tâche! Car Soutine n'entre dans aucune case, et certainement pas dans la case de l'art français.
En quoi Soutine fait-il référence aux artistes classiques? Si l'on en croit M. Restellini, c'est par son iconographie, c'est-à-dire ses motifs (exemple : il a emprunté le motif de la raie à Chardin et celui de la carcasse de boeuf à Rembrandt). Analyser une oeuvre par l'iconographie est une démarche quelque peu obsolète que la plupart des historiens d'art ont abandonnée depuis quelques décennies, et la manière dont Soutine traite picturalement la carcasse de boeuf ou la raie est visiblement éloignée de celle de Rembrandt ou de Chardin. Cela ne veut pas dire qu'il n'ait pas été influencé, bien au contraire, mais ce qui le distingue d'eux est quand même plus impressionnant que ce qui l'en rapproche. Tout démontre chez lui un rapport quasiment fusionnel avec la viande. Il ne cherche pas à représenter un objet de la vie courante, il inscrit sur la toile un rapport au monde qui relève d'une participation, d'une sorte d'adhésion aux choses très étrangère à l'art français.
S'il est un point commun entre Cézanne et Soutine, c'est qu'ils font tous deux émerger les choses dans un geste presque mystique. La religiosité de Cézanne, bien connue de ses biographes, rejoint l'athéisme supposé de Soutine (supposé car, pour être honnête, on ignore tout de ses convictions religieuses). Pour eux deux, la peinture est un acte de création qui fait émerger les choses et touche en profondeur notre rapport au monde.
D'accord direz-vous, mais en quoi sa peinture est-elle juive? Voici quelques pistes :
- le monde de Soutine n'a pas d'assise. Il est flottant, instable, comme celui de Chagall. Les personnages ne semblent jamais complètement fixés au sol : c'est comme s'ils allaient s'envoler. Rien n'est immobile. Un souffle parcourt les rues du moindre village.
- en permanence, le monde est menacé par un chaos, une apocalypse. Il n'y a ni cadre, ni ligne droite, ni construction méthodique, ni bord, ni perspective, ni scène théatrale (un vécu qui ressemble plus à celui du hassid qu'à celui du paysan de la Beauce).
- indifférence complète à l'égard de la beauté des corps (difficile d'être à la fois grec et juif) et de la nature. Si l'alliance entre l'homme et l'univers est rompue, plus aucune loi ne s'applique.
- attirance pour tout ce qui est auditif : les oreilles dissymétriques, déformées, les hommes en prière qui emportent avec eux l'espace environnant, la force de l'invocation qui transfigure les mondes.
- les plaies ne se referment jamais. Elles restent ouvertes, comme Derrida le disait de la circoncision.
- les platanes ou d'autres arbres semblent s'enflammer tous seuls comme des buissons ardents.
- la couleur a une vie propre, émotionnelle, d'une façon qui peut être comparée à l'art de Rothko (s'il y a sur ce point une influence française, c'est celle des Fauves et de ses amis de l'Ecole de Paris plutôt que celle de Corot!).
Soutine était un exilé. Il s'est toujours vécu comme errant, étranger. S'il ne s'est pas occupé du sionisme, c'est parce qu'il ne voulait s'enfermer dans aucune doctrine ni communauté. Mais cela ne prouve ni qu'il ne se sentait pas juif (ce qui serait étrange pour un homme dont presque tous les amis étaient juifs, y compris d'ailleurs sa compagne qui, contrairement à ce que dit Restellini, n'était pas [seulement] allemande, mais [surtout] juive, elle aussi), ni que sa peinture n'ait pas été influencée par sa judéité. Bien entendu la police de Vichy ne s'y est pas trompée, car elle l'a pourchassé (quoiqu'en dise Restellini).
L'oeuvre de Soutine, qui a cherché à s'émanciper de son shtetl natal, démontre au contraire que l'obscure et incertaine expérience de l'héritage juif est inarrêtable : au moment même où disparaît l'art judaïque traditionnel lié au culte, apparaît un art d'essence juive, mais non lié à la religion.

La question de l'existence de l'art juif est étroitement liée à celle de l'identité juive

Il serait impertinent de s'interroger sur l'existence d'un art français ou d'un art anglais (13). En effet le champ de l'histoire de l'art peut être lié à des catégories anthropologiques ou à des projets nationaux (p21). Mais dès qu'il est question d'art juif, on voit se multiplier les formules interrogatives, même si les juifs acceptent de se rallier au modèle dominant des nations.
Attribuer aux juifs un art spécifique, ce serait soit prouver qu'ils sont un peuple comme les autres, ce qui soulève des réticences, soit prouver qu'ils ne sont pas comme les autres, ce qui en soulève aussi. Les conceptions de l'art juif fluctuent au gré des conceptions que l'on se fait de l'identité juive (p65).
L'idéologie nationale (sioniste dans le cas des juifs) demande aux artistes de participer à la transmission d'une identité remodelée (p23). S'il y a un art juif, c'est qu'il y a une identité juive; donc les juifs sont capables de construire une culture et une nation. L'art est supposé démontrer un avenir.
Rien n'étant plus difficile à définir que l'identité juive, il en est de même de l'art juif.[C]

Il n'y a d'art juif, c'est-à-dire de judaïsme dans l'art, que dans les oeuvres en relation avec la pensée juive

Cette formulation, construite sur le modèle de l'"art chrétien" ou de l'"art bouddhiste", dont personne ne conteste l'existence, souligne la pluralité des arts juifs possibles, et écarte d'autres définitions de l'art juif. Ce n'est ni :
- un art cérémoniel, lié à des pratiques religieuses ou traditionnelles (objets ou manuscrits). Cet artisanat cultuel qu'on pourrait qualifier d'art judaïque pour le distinguer de l'art juif dont nous donnons une définition beaucoup plus large, s'est effacé avec les communautés juives traditionnelles, au 19ème siècle ou au début du 20ème et ne subsiste, s'il subsiste, que là où elles survivent.
- un art national, susceptible de contribuer à donner un contenu - sioniste ou non - à l'identité juive. Nombreuses ont été les tentatives dans cette direction, mais elles n'ont jamais réussi, pas même en Israël, où ce type d'art relève du folklore.
- l'ensemble des oeuvres réalisées par des artistes juifs. En effet, la plupart des artistes d'origine juive ont réalisé des oeuvres sans rapport direct avec le judaïsme. Seuls certains d'entre eux s'inscrivent dans l'art juif tel que nous le définissons; et par ailleurs des artistes non juifs peuvent s'inscrire, volontairement ou involontairement, dans la lignée de l'art juif.
Nous supposons qu'il y a une pensée juive, c'est-à-dire une tradition transmise de génération en génération et ayant un contenu spécifique. N'importe qui peut s'y référer, juif ou pas juif, même si généralement ce sont des juifs qui le font. L'art (peinture, musique ou poésie) est pensée. On pense à travers les oeuvres, et on peut penser de manière juive à travers certaines oeuvres. C'est cela l'art juif, et il nous semble qu'un tel art existe, quoiqu'on en dise, pas seulement chez Chagall, Barnett Newman, Rothko ou Victor Brauner (qui étaient juifs) et aussi, par exemple, chez Garouste, Kieffer ou Kupka (qui ne le sont pas ou ne l'étaient pas). S'il peut y avoir, dans des styles extrêmement différents, des développements juifs de l'art, c'est parce que la pensée juive peut les accueillir.
Certains auteurs, comme Dominique Jarrassé (Existe-t-il un art juif?, Biro Ed), imaginent qu'on peut traiter de l'art juif en ignorant le pensée juive. Pour eux, l'affirmation de la tradition juive ne peut être que nationaliste, ethnique ou biologique - comme si le talmud, R. Nahman de Bratslav ou le Maharal de Prague n'avaient jamais existé, et comme si l'attachement des juifs à cette tradition relevait d'une pure et simple apologie du "sang juif", et comme si Martin Buber n'avait jamais pensé l'altérité autrement que par le sperme. Quand on réduit Martin Buber à quelques phrases sionistes isolées de leur contexte, quand on ignore l'essence même de la pensée juive, on ne peut aboutir qu'à une définition fausse de l'art juif.
La définition que nous donnons de l'art juif s'inscrit dans l'histoire de la pensée et non pas dans l'histoire de l'art. Pour lui donner une substace, il faut questionner le contenu de la tradition juive, et non pas seulement son versant politique. Il faut travailler les oeuvres et non pas les auteurs, les textes et leurs commentaires et non pas le récit qu'en font les journalistes.[D]

Dans le judaïsme, la question des images n'a jamais été définitivement tranchée : elle est demeurée en suspens et controversée

- à partir du retour de l'exil babylonien, l'art figuratif est frappé de malédiction.
- au 1er siècle après J-C, Rabban Gamliel a toléré et sans doute possédé des images. Une tendance moins sévère se fait jour.
- au 2è s, Juda Ier, Rab et Samuel au 3è s et le targoum palestinien au 4è s ne jettent l'anathème que sur les statues.
- du 3è au 5è siècle, l'art figuratif est admis sous forme de mosaïques et de peintures, à condition qu'elles ne figurent ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles. Les rondes-bosses sont interdites (elles le seront jusqu'au 17ème s). Les fresques de la synagogue de Doura-Europos (Syrie) datent de 246. On a trouvé des oeuvres du 3è s en Galilée. Au 4è siècle, le décor historique et monumental s'est développé. Des tapisseries représentant des animaux et des oiseaux étaient probablement tendues dans les synagogues sur le mur orienté vers Jerusalem.
- le 5è et le 6è siècle sont des périodes de destruction. L'art juif se réfugie dans les ornements de l'art musulman.
- les mosaïques de la synagogue de Beth-Alpha (Israël) datent du début du 6ème siècle.
- puis vient une longue période puritaine où l'on efface les décors, sauf l'ornementation florale (Capharnaüm).
- en 930 en Egypte, des miniatures bibliques ont été faites (retrouvées à la gueniza du Caire).
- Maïmonide fermait les yeux pendant les prières pour ne pas voir les tapisseries de sa synagogue.
- au 12ème siècle, la synagogue de Cologne avait des vitraux peints. Mais d'autres autorités rabbiniques s'opposent à ce que des animaux soient figurés dans les synagogues de Bonn et de Meissen.
- au 13ème s, on fabriquait des miniatures animalières, contre l'avis de R. Meir de Rothenburg. De nombreux manuscrits juifs ont été enluminés dans les pays de l'Ouest.
- aux 15è-16è s, les enlumineurs hébraïques d'Italie sont influencés par la Renaissance, tout en conservant les traditions issues des pays islamiques.
- au 17ème siècle, on a commencé à sculpter des bustes de juifs, mais après leur mort.
- au 18ème s, premières sculptures de juifs vivants (Moïse Mendelssohn).
- au 19è s, les autorités rabbiniques sont encore très réticentes, mais ne peuvent empêcher l'extension de l'art juif.[E]

La stratégie de l'art juif par rapport aux images, c'est de créer des oeuvres qui ne soient pas des idoles

La question des images n'ayant jamais été définitivement tranchée dans la tradition juive, elles sont toujours soupçonnéee de falsification, mais jamais proscrites, à condition de respecter certaines règles de base. Il faut que les oeuvres nous fassent saisir ce qui demeure caché. Pour qu'elles ne soient pas l'expression de l'immanence des dieux païens, mais de la transcendance du dieu unique, il faut qu'elles se différencient de l'art idolâtre. Comment arriver à ce résultat?
- échapper à l'immobilité sacrée et hiératique des idoles en exprimant le devenir en mouvement dans le temps et l'espace,
- ne pas représenter une scène isolée qui arrête l'attention sur les personnages, mais procéder par narration continue. La succession des événements dans leur enchaînement rend sensible la présence de dieu. On trouve la narration continue dans les fresques les plus anciennes de l'art juif qui aient été conservées, celels de la synagogue de Doura-Europos (245 AC). Les traits individuels des personnages sont négligés. Leurs corps n'ont pas de relief. Il n'y a aucune tentative d'imiter la nature. Ce qui est recherché est le sentiment vrai de la réalité mouvante. On ne peut comprendre l'image que comme épisode d'un récit (par exemple la ligature d'Abraham, ici ou là).
- pas d'image de dieu. On le suggère indirectement par son absence ou par un symbole, par exemple une main. Ce qui est exprimé n'est pas sa personne, mais sa volonté.
Cette stratégie est toujours en vigueur, y compris en-dehors du judaïsme. Le souci de différencier l'image d'art et l'image quelconque ne nous a pas quittés.[F]

Prenant acte d'un retrait indéfinissable, la peinture d'inspiration juive se désintéresse de toute iconographie

Les mots de restauration ou réparation pourraient être ceux qui définissent le mieux l'oeuvre de Kiefer. C'est ainsi qu'on peut interpréter sa référence à la Cabale. Il ne décrit la déliquescence du monde que pour mieux le réparer par son oeuvre même. Ce qui fait la différence avec d'autres artistes cabalistiques comme Rothko et Newman, c'est que les oeuvres de Rothko et Newman ne sont pas en elles-mêmes des tentatives de restauration : elles condamnent l'imagerie, repoussent l'iconographie pour se concentrer sur le temps du retrait. Sans doute cela va-t-il avec une certaine mélancolie, surtout pour Rothko (point commun avec Kiefer). Mais Kiefer est à la recherche de figures actives de compensation du retrait. Rothko et Newman, au contraire, prennent acte du retrait. Leurs oeuvres prennent exemple sur la puissance active. Elles ne sont pas réparation, mais retrait.[F1]

Kiefer s'est emparé des thèmes juifs et cabalistiques pour les archiver dans la culture allemande. Toute l'oeuvre de Kiefer peut être présentée comme un travail sur la mémoire. Aucun artiste allemand n'a autant intériorisé des thèmes ou des personnages juifs (issus de la bible, de la Cabale ou du midrach), comme la Sulamith de Paul Celan ou Lilith. Il fait toujours allusion à Auschwitz, y compris dans la deuxième moitié des années 90, quand il choisit des sujets plus cosmiques et moins bibliques que précédemment. La série sur les Camps d'étoiles associe les deux thèmes. La mémoire du massacre travaille toujours, mais le travail de deuil déjà effectué lui permet de l'articuler au sein d'autres enjeux, qui sont déplacés. Ainsi la culture juive retrouve-t-elle une place dans l'histoire et dans la pensée allemandes.
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Quand, dans la proposition, je choisis ce mot, "s'emparer", que n'emploie pas Daniel Arasse, j'insinue l'idée qu'il y aurait de la part de Kiefer une certaine violence, comme s'il avait voulu réintégrer de force dans la culture allemande une problématique qui lui est étrangère, ou, pire, comme s'il avait voulu s'approprier les figures d'une tradition dont il ignorerait l'altérité absolue. Le fait qu'il ait fabriqué tant de livres sans écriture (dont l'écriture n'est pas effacée, mais inexistante, n'a jamais existé), qu'il ait transformé en idole massive la Brisure des vases, qu'il se soit servi de Lilith pour illustrer ses propres fantasmes d'effacement ou de mélancolie, qu'il ait finalement ignoré le judaïsme comme culture vivante, confirmerait cette interprétation. Toute cette bonne volonté à l'égard des juifs, cette tristesse célanienne, pour se complaire dans l'effacement de leurs traces.[F2]

La Cabale lourianique donne une légitimation cosmique au sentiment de déréliction existentielle et d'effondrement du sens dont Kiefer fait le bilan

La cosmogonie de Louria est une source privilégiée d'inspiration mythique pour Kiefer. Le retrait de dieu (tsimtsoum) et la brisure des vases (chevirat hakelim) fournissent un modèle poétique au sentiment qu'il a du processus intérieur de sa création. Pour faire venir une oeuvre d'art à l'existence, il lui faut se contracter dans une sorte d'exil intérieur. Il disparaît presque, et l'oeuvre dans son échec (car elle échoue toujours) éclaire, même faiblement, ce qu'il voulait atteindre.
La pensée juive aide Kiefer à se dégager du poids de sa propre historicité. Elle a une fonction analogue à celle de Khlebnikhov et sa numérologie : l'histoire suit des chemins apparemment absurdes, elle ne progresse pas vers l'accomplissement linéaire de son sens. En s'appuyant sur Celan et Benjamin, Kiefer fait le deuil de la conception hegelienne selon laquelle l'histoire progresse vers la réalisation de l'esprit par l'intermédiaire d'un peuple dominant. L'utopie surgit du coeur du présent. L'idéal peut advenir dans chaque instant, vécu dans sa singularité incomparable.
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Sur les trois moments de la création lourianique, Kiefer montre les deux premiers (tsimtsoum/émanation, brisure des vases) directement, tandis que la réparation (tiqoun) ne l'est qu'indirectement : c'est l'oeuvre elle-même, sa fabrication, l'acte qu'accomplit Kiefer. La création s'arrête à l'explosion des étincelles qui suit la chute - il reste à aménager son être dans le monde.[F3]

L'art contemporain ne joue pas avec l'espace, il ne le manipule pas, il le "déclare"

Citation exacte de Barnett Newman (1962) : "I don't manipulate or play with space. I declare it". cf Selected Writings and Interviews, Knopf, New York, 1990. (Art Press, 1994).
Le tableau semble s'adresser à tous au présent. Le voici devant nos yeux, apparemment sans secret, sans dissimulation, dépourvu de toute iconographie qui exigerait du spectateur une compétence. Il y a pourtant en lui une force, une tension, une puissance d'inscription qui déchire l'ordinaire de l'expérience. Il est porteur d'un héritage, de mots invisibles, d'un savoir ancré dans la tradition. Lequel? Celui de la création ex nihilo. Peut-on imaginer plus grande ambition? Si Barnett Newman s'aventure aux frontières de l'art et du non-art, c'est pour revenir au début du monde et répéter le geste de sa création. Pas moins. Le paradoxe, c'est que plus grande est l'ambition, moins il en faut. Il suffit de quelques lignes, couleurs et traits, quelques allusions, un titre, bref trois grains de sable ou même rien. Cet homme-là a un truc, un Schibboleth : si je le retire, ce rien, il ne reste que l'imprononçable. J'ai bien dit imprononçable et non pas invisible, car c'est bien du visible que surgissent, dans un océan de blancheur, l'imprononçable, le nom, le redoublement du nom et la voix.
D'ailleurs, son ambition ne s'arrête pas là. Il veut aussi refonder la métaphysique, réagir à la crise morale d'un monde dévasté, prendre à sa façon la parole.[F4]

Tout art, qu'il soit prosaïque ou poétique, ne revêt-il pas aux yeux d'un juif qui y regarde d'assez près les traits d'une falsification?

A propos de Kafka, qui voulait plus que tout être artiste, et qui fut plutôt auteur d'oracles et prophète, plus halakhique que narrateur car pour lui le raisonnement est une dimension essentielle du récit.
Un juif est-il jamais arrivé à quelque art élevé sans se dénaturer lui-même un peu? L'art ne contribue-t-il pas à faire oublier ce qui nous arrive réellement dans le monde? Et l'analyse de ce qui nous arrive n'est-elle pas la plus amusante des activités? Le moi juif de Kafka se pose la question et, la posant, met les limites de l'art à l'épreuve.[G]

Pour respecter le second commandement, la peinture juive doit échapper à l'immobilité

Dans la bible, le premier artiste est Betsalel. Il construit le tabernacle, résidence de la présence divine, après la fuite d'Egypte. De même que le tabernacle est une structure mobile, démontable, l'art juif ne trouve sa place que dans le déplacement.
L'évolution d'Anselm Kiefer dans les années 70 en témoigne. Influencé par la tradition juive (quoique non juif lui-même), sa peinture évolue à partir de grands décors allégoriques vers des montages hétérogènes où l'image disparaît sous la matérialité. La présence active, vitale, de l'objet, déplace le lien de l'image au texte. La pensée cabaliste induit une pluralité d'interprétations et de commentaires. Chaque série de tableaux se double de livres, dont les images et les thèmes s'interpénètrent. Il y a fragmentation, transformation, passage, qui relèvent d'une appropriation profonde de la pensée juive de la mobilité et du temps. Le temps, dynamique et constitutif, est porteur d'énergie et de devenir.[H]

L'art juif trouve dans le mouvement son mode de représentation, participant de la création indéfiniment continuée

Cite Ernest Naményi dans son livre L'esprit de l'art juif (1957).
Selon Abraham Heschel, le peuple juif consacre des sanctuaires à l'écoulement du temps plutôt qu'à la sanctification de l'espace. Les monuments de pierre sont voués à disparaître, tandis que les jours saints se répètent. Le temps est plus abstrait, il est moins susceptible de succomber à l'idolâtrie que l'espace.
Les juifs, comme tous les peuples, produisent des oeuvres d'art. Mais ils ne peuvent accepter l'immobilité sacrée de l'art des idoles : leur art est sans cesse déplacé par la main de Dieu. Il est messianique. L'espace et le temps y fusionnent.
Les fresques de la synagogue de Doura Europos sont une expression de cette mouvance dans l'art. Selon Nadine Shenkar (L'art juif et la Kabbale, 1996), on peut les rapprocher du flux qui circule entre les sefirot.[H1]

L'art juif est conceptuel et abstrait, il aspire à gérer la mouvance cosmique, à intégrer le réel à sa source primordiale

Cite Nadine Shenkar (L'art juif et la Kabbale, Nil Ed, 1996). Les deux dimensions de l'abstraction et du mouvement sont indissociables dans la tradition juive.
Selon Robert Pincus-Witten, l'essence même de l'art abstrait est juive. C'est ce qui explique qu'une relation se soit nouée entre abstraction et judaïsme à New York dans les années 40. Un chrétien explorant l'art abstrait renie implicitement son christianisme.
Trois illustrations de cet art juif :
- Pour Barnett Newman, l'oeuvre fondatrice est Onement I, commencé le 1er janvier 1948, terminé le jour du Kippour. Il joue sur l'unité comme fondement de la loi juive (p158).
- Rothko, fasciné par le patriarche biblique Abraham, ne se voulait pas mystique, mais son oeuvre a été interprétée dans ce sens à partir des thèmes du voile, de l'interdit, de la tente du désert, de l'épiphanie de la lumière.
- l'Israëlien Yaacov Agam, fils de rabbin, a choisi l'art cinétique parce qu'il montre le visible en tant que possibilités en perpétuel devenir (p. 161).
Mais il y a un autre art juif, sensuel et émotif, comme celui de Soutine.[I]

Dans la ligature d'Isaac, Abraham ne se tourne pas vers son fils, mais vers une voix

Une intaille de sardonyx rubannée, conservée au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale (Paris), montre Abraham, couteau à la main, s'apprêtant à immoler son fils couché, les mains liées sur un autel. Abraham tourne la tête vers la gauche où se trouve une main stylisée au-dessus du bélier qui sera substitué à Isaac. Pourquoi Abraham se tourne-t-il dans cette direction? Pas pour regarder une main, pour écouter une voix. C'est bien à une voix qu'il obéit, pas à une main, comme le dit le texte (Gen 22 16-18) à la fin de l'épisode : "Puisque tu as fait cela et que tu n'as pas refusé ton fils, ton unique enfant, je te bénirai, je multiplirai ta postérité. Toutes les nations de la terre seront bénies en elle parce que tu as obéi à ma voix". Dans les autres représentations anciennes du même épisode, à la synagogue Doura-Europos (vers 246 après J-C) comme à celle de Beth-Alpha (6ème siècle), c'est aussi la main qui se substitue à la voix.
Représenter dieu étant interdit, on représente sa voix sous la forme d'une main. Par la voix dieu agit, il crée le monde, il exprime sa volonté.[J]

Scènes du livre d'Esther, version complète avec pans (Synagogue de Doura Europos, Syrie, vers 245-256)

Ces fresques, uniques en leur genre, figurent en bonne place dans toutes les histoires d'art juif. Les personnages semblent en appeler à nous, humains d'aujourd'hui, sur des événements qui ne sont pas tout à fait révolus. Ils font un geste de la main, comme si on les voyait passer depuis un train, un geste de nostalgie, d'espoir et de confiance dans le temps. Ils ne se situent pas en un lieu précis. Ils nous regardent de face, d'égal à égal. Ce ne sont pas des êtres concrets, expressifs (au sens d'un portrait), mais des visages, c'est-à-dire des êtres humains dans leur généralité.
Il y a dans la synagogue plusieurs dizaines de scènes, dont les images sont subordonnées à un livre que tous sont sensés connaître.
Ils ont disparu, mais ils n'ont pas cessé de bouger. Ils sont en mouvement. Entre les signes du zodiaque et les scènes animalières s'interposent des pans de mur abstraits, aussi vides que la niche orientée vers Jerusalem.

L'art juif s'exprime en deux dimensions : il évite la sculpture et la profondeur

Je généralise ici peut-être abusivement ce que dit Ernest Namenyi dans son commentaire des fresques de Doura-Europos (vers 245 AC). Les artistes qui les ont peintes connaissaient certainement l'art hellénistique et l'art gréco-syrien. Pourtant les traits individuels des personnages sont gommés, les costumes, schématisés, ne s'ajustent pas aux corps, et ceux-ci n'ont pas de relief. Les accessoires ont plus d'importance que l'imitation de la nature. Ce n'est pas par manque de savoir, mais par refus de l'esprit grec.
Alors que la peinture et la mosaïque étaient plus ou moins acceptées en milieu juif selon les époques, la sculpture a toujours été rejetée. La ronde-bosse a été interdite jusqu'au 17ème siècle.[K]

La main de dieu est le plus constant symbole employé par l'art juif

La substitution main/voix est évidente dans les représentations juives les plus anciennes du sacrifice d'Abraham (la ligature d'Isaac) : dans la synagogue de Doura-Europos (vers 246 après J-C), la main ouverte se trouve au-dessus de l'enfant ligoté. Elle apparaît chaque fois que l'artiste veut donner l'idée de la présence active de dieu : dans la scène d'Ezéquiel, celle du passage de la mer Rouge, celle de la résurrection du fils de la veuve par Elie, celle du buisson ardent.
Jusqu'à aujourd'hui, dans les haggadot de Pâques, dans les amulettes, la main de dieu est figurée. Parfois, elle est remplacée par l'ange.
Alors que le texte biblique parle de la voix de dieu, c'est une main qu'on montre. Il ne s'agit pas de représentation analogique ou métaphorique, mais d'une présence réelle de la voix en tant qu'elle agit. Dieu ne communique pas sa volonté à Abraham, il est présent. Si Abraham obéit à cette voix, ce n'est pas par conviction ou croyance, mais parce que cette voix-main agit en lui.
On peut rapprocher cette présence de la voix-main de figurations modernes où une vibration, une résonance passent littéralement par la main. C'est le cas, entre autres, dans l'oeuvre d'Oskar Kokoschka.[L]

Le sacrifice d'Abraham (ou "ligature d'Isaac") est l'épisode le plus fréquemment représenté par les artistes juifs

Abraham est le personnage principal figurant dans l'art juif, et le sacrifice d'Abraham (ou ligature d'Isaac, en hébreu aqeda) l'épisode le plus courant. La scène se trouve face à l'entrée de la synagogue de Doura Europos (vers 246 après J-C), près du temple, dans la direction de Jerusalem. Elle figure aussi sur la mosaïque de Beth-Alpha (6ème siècle), près du seuil, et sur de nombreuses bibles enluminées à partir du 13ème siècle.
La présence active de dieu (sa voix) est représentée par une main. Isaac est passif, immobile, lié. Ses traits personnels ne sont pas figurés, contrairement aux représentations chrétiennes qui préfigurent la Crucifixion, dans lesquelles Isaac a un rôle actif.[M]

Comme les images ne représentent rien, les servir, c'est servir le néant

Dieu étant transcendant, il ne se manifeste pas par des formes, contrairement aux dieux immanents, qui se prêtent à des formes, des représentations qui constituent leur présence même. Ils sont immanents par le moyen de leurs images, ils sont des images. Leur service est un service des images. Les prophètes juifs ont lutté contre des idoles parce qu'elles étaient des apparences, c'est-à-dire rien, le néant. Ces images n'ont ni modèle ni prototype.
Le dieu transcendant n'est protoype de rien. Il ne se révèle que par l'intuition, l'esprit, l'amour ou la raison. Il ne peut être le modèle d'une image. Mais la faculté esthétique de l'homme n'en existe pas moins. Notre oeil aperçoit les traits de l'être vivant. Il y a deux stratégies possibles face à cela :
- l'iconoclasme : la lutte contre les images par la persuasion, l'ironie, la menace, l'interdiction.
- créer des oeuvres d'art qui ne soient pas des idoles.
Pour les Juifs, Dieu étant transcendant, on ne peut pas en faire d'image. Ce n'est pas une interdiction, c'est une impossibilité.[N]

L'espace des peintres juifs est vocal

Qu’y a-t-il de commun entre des peintres, des dessinateurs, des illustrateurs ou des sculpteurs juifs? A cette question provocatrice, on a naturellement tendance à répondre : rien d’essentiel, en tous cas rien d’essentiel à la peinture. La notion même de «peinture juive» a quelque chose de bizarre, de douteux, de suspect, pour ne pas dire pire. Il se trouve que parmi les peintres certains sont juifs, voilà tout ce qu’on devrait pouvoir dire. Entre ceux qui s’affirment comme tels (du genre Chagall ou Mané-Katz) et ceux pour lesquels on pourrait aussi bien ignorer qu’ils le sont (Tom Wesselman par exemple), il ne semble pas y avoir la moindre passerelle. Chacun son style, son époque et ses choix.
C’est ce que j’ai longtemps pensé, très longtemps même, jusqu’à ce qu’un sentiment, une certaine intuition se frayent peu à peu une place dans mon esprit, en perturbent le bel ordonnancement et finissent par me forcer à poser par écrit quelques hypothèses.
Tenez, faites l’expérience. Rendez-vous quelque part où se trouve présentée, pour une raison quelconque, une collection comportant des oeuvres d’artistes juifs assez diversifiés. Mettons, par exemple, celle du défunt Oscar Ghez au Petit Palais de Genève. Ouvrez les yeux et vous le constaterez vous-même : l’idée première, le choix de principe anti-raciste, anti-antisémite, ce choix qui pourrait sembler rassurant, est contredit par les faits. Quand on regarde des tableaux fabriqués par des juifs, on ne peut s’empêcher de se dire qu’ils partagent quelque chose. Mais quoi? Dans un premier temps, pour rester aussi proche que possible de notre expérience de la vision, je dirais qu’il y a en eux quelque chose comme un flottement. Les figures ne semblent pas posées par terre. Elles manquent de pesanteur. Elles sont distribuées dans l’espace d’une façon qui ne correspond à aucune règle. Comme il en est des lettres hébraïques, on croirait qu’elles ne s’appuient pas sur une ligne située en bas, au-dessous d’elles, mais au contraire qu’elles s’appuient sur une ligne invisible et instable située quelque part vers le haut.
Observez ce dessin de Jules Pascin (né Mordechaï Pincas et décédé par suicide à Paris en 1930), Nostalgie (1928). C’est un peintre extrêmement sensuel, qui adore montrer les jeunes filles dans des positions équivoques. Voyez son trait. Une incertitude essentielle semble habiter l’image. Le dessin est ondoyant, suggestif plus que descriptif, troublé, troublant et sinueux. Le regard de la jeune femme s’élève vers une autre région, peut-être celle qu’un index de sa main désigne et suscite. Quelque chose de l’image se trouve là, dans cette autre région qu’évoquent également les volutes et redites des lignes dont la fonction est de situer l’espace où elle est étendue (un canapé, une table ronde). Quelle est cette région?
Quelque chose vient creuser l’espace de cette peinture. Il est difficile de prendre parti dans un premier temps sur l’origine de ce creux. Nous l'appelons espace vocal. Qu’est-ce qu’un espace vocal? C’est la résidence d’un désir, d’une vibration, d’un appel ou d’une écoute. Il manque de supports et de repères visuels, et pourtant il réussit à sous-tendre la figure. Par quel miracle? Une certaine instabilité, une certaine indétermination de la couleur. Comme s'il fallait que la voix de l'Être trouve son chemin, là aussi.[O]

La couleur donne à voir l'indicible, l'infigurable

Peut-on distinguer une couleur métaphysique d'une couleur expressive? Toutes deux ont partie liée avec l'indicible. Elles vibrent comme la voix - une voix inaudible, jouant de l'ambiguité, absente ou présente dans le même mouvement, créative, effrayante ou rassurante, immanente ou mystique. La couleur peut accentuer les traits de la figure humaine ou au contraire les nier, les détourner ou les décaler - comme elle nie, en général, le trait et la ligne. Elle déclenche l'émotion et produit l'extase. Pour elle, la nature n'est pas réelle, objective, mais une création mouvante, qui varie en fonction de l'heure, du climat, et de la perception qu'on en a.
Il n'est pas étonnant que toutes sortes de mystiques s'en soient emparés, ni que des peintres juifs s'en soient servi pour contourner la question de la figure. Rothko, Pollock, Olitski, Soutine.... Chacun peut être qualifié, à sa façon, de maître de la couleur, et chacun a été confronté, à sa façon, à l'unique indicible. Certes il y a d'autres maîtres de la couleur comme le Derain fauve (qui deviendra plus tard antisémite), ou Nolde (qui a su préserver sa peinture de sa compromission avec les nazis), ou encore Mondrian ou Kandinsky - le théosophe et l'orthodoxe. Mais chez eux, l'idée que la couleur puisse toucher à l'indicible n'est pas un but en soi.[P]

La peinture de Morris Louis en appelle à l'expérience absolue de l'oeuvre picturale : une présenteté atemporelle, l'innocence d'un "mot" unique, nouveau et indicible

Il est difficile de trouver une relation directe entre la personnalité de Morris Louis et sa peinture. Ses oeuvres donnent l'impression de naitre d'elles-mêmes. On ne peut pas les considérer comme des objets sur lesquels sont présentés des formes. Ce sont plutôt des pages vierges sur lesquelles la peinture se déploie presque spontanément, dans une création de type musical. Elles en appellent à une illumination, une vision absolue, sans concession à l'ornementation ni au divertissement. Si elles s'imposent, c'est par leur force de conviction, par leur substance spécifique dont l'origine et la nature nous sont inconnus, ou par les possibilités inimaginables qu'elles ouvrent à l'avenir de la peinture.[Q]

"Art juif" est indéfinissable, car "art" est indéfinissable, et "juif" aussi

Cette formulation peut ressembler à un trait d'esprit. Elle est en excès sur elle-même, car il suffirait que "art" ou "juif" soit indéfinissable pour que "art juif" le soit également. Or les deux le sont, ce qui redouble le problème et crée une affinité troublante. Certes, les juifs fuient l'idole. Mais l'art n'est-il pas, justement, le rejet de toute pensée close dans la représentation?
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Dans ce mot, indéfinissable, sa cache son inverse : on n'en finit pas d'essayer de définir l'art ou de définir le judaïsme.[R]

Si l'art juif est celui qui est fait par les artistes juifs, il n'est ni descriptible ni inscriptible dans l'histoire de l'art

L'idée que l'art juif est l'art fait par des juifs est récusée par Dominique Jarrassé dès la première page de son livre Existe-t-il un art juif? (Ed Biro p9). Il lui suffit de qualifier cette idée de "biologique" pour la considérer comme insoutenable. Mais ce qui est insoutenable, ce n'est pas que l'art juif soit fait par des juifs (ce qui, sauf exceptions, est une évidence), c'est le fait de définir le judaïsme comme biologique ou ethnique. On pourra au contraire soutenir que l'art juif est celui qui est fait par des juifs, à condition de récuser préalablement toute définition ethnique du judaïsme. Le judaïsme étant indéfinissable (en tous cas par la biologie), et l'art l'étant aussi, il y aurait une piste qui permettrait de comprendre la connivence entre les deux à l'époque moderne. Pour certains juifs, l'art prend la suite de la religion parce qu'il est indéfinissable.
S'il n'est pas inscriptible, ce n'est pas seulement à cause de son hétérogénéité. C'est parce qu'il y a croisement entre deux catégories théoriques qui, dans leur généralité, n'ont pas de lien entre elles : le judaïsme et l'histoire de l'art. S'il y a croisement, ce ne peut être que dans des oeuvres singulières.[T]

On ne peut arrêter en soi l'obscure et incertaine expérience de l'héritage juif

Dans son livre sur le Moïse de Freud, Yosef Yerushalmi distingue entre judéité et judaïsme. On peut s'affranchir de la religion juive (judaïsme), renoncer à toute appartenance communautaire, tout en conservant enraciné en soi un certain héritage (judéité). Jacques Derrida surenchérit dans cette direction. Moins il se rattache à la communauté [judaïsme], plus il est Juif [judéité]. Mais alors, s'il a renoncé à tout patrimoine, qu'est-ce qui reste en lui de Juif? L'essentiel, comme le dit Freud. Il lui suffit d'acquiescer, de dire "Oui, je suis un Juif", et certains traits émergent : l'héritage qui s'immisce dans la réalité de la vie, l'espérance [prophétique, messianique], l'ouverture à l'avenir. Et même s'il désavoue tout cela, même s'il tient à s'en affranchir, même s'il n'a aucune certitude, il ne peut que le répéter.
Jacques Derrida en témoigne : cette expérience est inarrêtable. Il a rompu de toutes les façons possibles, et pourtant les décisions de sa vie, la logique de son discours, tout ce qu'il y a de plus irréductible en lui, se rapportent à la judéité.
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On ne peut pas l'arrêter, cette formulation rappelle ce que Derrida dit ailleurs sur le statut de l'oeuvre d'art. Elle est porteuse d'un mouvement - lui aussi inarrêtable, et c'est ce qui la distingue de n'importe quel objet. Le peintre Soutine est un exemple de convergence des deux processus : une judéité sans judaïsme, un art qui ne peut se stabiliser en aucune forme de représentation. Qu'est-ce qui ne s'arrête pas dans les deux cas? La différance. Tel est le point de croisement entre art et judaïsme.[U]

La certitude de l'absence du Dieu juif définit la modernité et commande toute l'esthétique et la critique modernes

Jacques Derrida parle de l'écriture, de l'origine de l'oeuvre. Au départ, il y a l'absence. Seule l'absence peut inspirer. Quelle absence? D'abord, l'absence du Dieu juif. Nous avons la certitude de l'absence d'écriture divine, il faut partir de cela, c'est-à-dire de l'athéisme (que l'écrivain soit athée ou non).
Le sens ne précède pas l'écriture. Il ne nous attend pas. Il s'habite lui-même.
Citant Jérémie soumis à la dictée de Dieu, Derrida insiste sur l'angoisse et la solitude. Le prophète ne transcrit pas une parole, il est lui aussi devant l'absence, comme si la tora était déjà moderne. Le Dieu juif n'a pas à s'absenter, il est déjà absent, tandis que le Dieu de Leibniz ne connaît pas l'angoisse, il pense les possibles en acte.[V]

Certains courants comme l'abstraction, l'expressionnisme abstrait ou l'art conceptuel semblent avoir des liens étroits avec l'interdit iconique et les tentations mystiques juives

Martin Buber a écrit en 1901 un texte sur le peintre juif Lesser Ury. En quoi est-il juif? Entre autres, par le goût de la couleur et les effets de lumière sur les objets (dit Buber). On retrouve ce goût chez d'autres peintres juifs, par exemple Max Liebermann, Jozef Israels ou Pissaro. Ce goût de l'effet de lumière est-il purement sensuel, ou bien a-t-il quelque chose à voir avec un interdit? La question vaut pour tout le monde.
Les principaux inventeurs de l'art abstrait, de Kupka à Kandinsky à Mondrian, n'étaient pas juifs; mais ils étaient pour la plupart versés dans le spiritisme ou la théosophie.
En ce qui concerne l'art conceptuel, il faudrait plutôt le rapprocher de la philosophie que du judaïsme.
Ce qui compte n'est pas le trait stylistique, mais la façon dont les oeuvres sont pensées.[W]

S'il y a quelque chose de juif dans les productions d'art, c'est au coeur de l'oeuvre individuelle, en profondeur, qu'il faut le chercher

L'art new-yorkais prend la suite de l'art parisien dans la deuxième moitié du vingtième siècle. Il y a aux Etats-Unis un renouveau de l'art cultuel, le développement de musées juifs et institutions spécialisées, et des affirmations identitaires liées à l'exacerbation du multiculturalisme. Nombreux sont les artistes juifs, mais y a-t-il un art juif?
La question posée n'est pas celle des artistes (juifs ou non), mais des oeuvres. Les oeuvres appellent l'exégèse (p148), ce qui est bien plus difficile que de vérifier la biographie d'un auteur de tableau. En quoi une oeuvre d'art peut-elle être juive? Le sujet et le style importent ici moins que la pensée. Cette oeuvre-là, que dit-elle, que raconte-t-elle?[X]

Le discours dirigé contre les avant-gardes rejoint dans les années 20 les reproches faits aux juifs : dissoudre la tradition, dénaturer l'art national, manquer de racines

Le lien étroit qui existe entre judaïsme et modernité fait que les discours anti-modernes sont souvent anti-juifs.
De nombreux artistes juifs participaient aux Salons (modernes et indépendants). Comme il y avait aussi beaucoup de collectionneurs et de marchands juifs, l'accusation de mettre en péril l'art français se développait.
Aujourd'hui l'existence (et aussi quelques errements) de l'Etat d'Israël fait qu'on ne peut plus reprocher aux juifs de manquer de racines. Ils en ont trop! et quand un artiste est reconnu (par exemple Soutine), on prétend qu'il est un pur descendant de Rembrandt, Courbet, Corot, Cézanne. On efface sa dimension juive, comme a tenté de le faire un certain Marc Restellini lors d'une exposition qui s'est tenue à la Pinacothèque de Paris entre octobre 2007 et janvier 2008 [un excès se retourne en son contraire].[Y]

La relation du judaïsme à l'art passe autant par les historiens d'art que par les artistes

Dans la mesure où de nombreux historiens d'art sont juifs, on pourrait dire que l'art juif s'écrit sous la forme d'une histoire juive de l'art (p13). Mais ces mêmes historiens se sont presque tous gardés de soutenir la catégorie "art juif" (p17), notamment aux Etats-Unis où pourtant la question de l'art juif est devenu un domaine de prédilection des cultural studies.
La liste des grands historiens de l'art juifs est impressionnante : Warburg, Carl Einstein, Gombrich, ... Le phénomène ne se limite pas au monde germanique. Aux Etats-Unis, il y a Greenberg, Shapiro, Harold Rosenberg... En France, on peut citer pour la deuxième moitié du 20ème siècle : Damisch, Arasse, Didi-Huberman, Wajcman.[Z]

L'art judaïque disparaît au moment précis où la notion d'art juif comme catégorie de l'histoire de l'art est construite, vers 1853

Il n'y a jamais eu d'architecture juive. Ce sont les phéniciens qui ont construit le temple de Salomon. Même si la bible mentionne que de nombreux artistes juifs ont été déportés de Jérusalem par Nabuchodonosor, il ne reste aucune trace de leur production, et les synagogues et temples n'ont aucun style particulier. A ceux qui tiennent à décrire un art juif, on est tenté de demander : Qu'entendez-vous par "art juif"? Si on laisse de côté l'art cultuel ou cérémoniel, on ne trouve pas d'autre réponse que celle-ci : l'art juif est celui qui est fait par les juifs. Une telle réponse n'a aucune place dans l'histoire de l'art.
La notion d'un art juif comme catégorie de l'art est née en 1853 avec les Questions sur l'art judaïque de Félix de Saulcy (p14). L'ouverture d'un musée judaïque au Louvre date de la même année. Elle est concomitante de la naissance de la Wissenschaft des Judentums et de l'historicisation de la culture juive (p23). Elle conduit à définir un art judaïque compatible avec la culture académique dominante (manuscrits et art cérémoniel). Mais ni cela ni les découvertes archéologiques à la datation incertaine ne donnent une réelle substance à l'art judaïque, dont la notion tombera en désuétude dans les pays occidentaux (p36), et ne prospèrera en Europe de l'est que dans le contexte du mouvement national juif.
Selon Joseph Gutmann (qui était aussi rabbin), la notion d'art juif ne se justifie que jusqu'en 1800, c'est-à-dire jusqu'à l'émancipation. C'est le postulat de Gutmann.
On peut appeler art judaïque le travail des artisans qui ont fabriqué des objets de culte pour les communautés juives, y compris les livres et les rouleaux. On fabrique toujours de tels objets, mais cela relève plus de l'industrie que de l'art. S'il y a encore un art juif, c'est un art des juifs, c'est-à-dire des individus juifs. Il est parfois mystique ou influencé par les textes, mais il est rarement culturel.[Z1]

L'art juif est un art créé par des artistes juifs où l'on peut trouver des aspects de l'expérience juive, qu'elle soit religieuse, culturelle, sociale ou personnelle

Définition donnée dans le recueil "Complex identities. Jewish Consciousness and Modern Art" Ed Baigell et Milly Heyd, 2001. Basée sur l'expérience, elle rend compte de divers phénomènes de manière plus large qu'une définition plus restrictive et plus difficile à soutenir par la pensée seule.
Une telle définition rabat le concept de l'art juif sur la sociologie d'un peuple. Elle est antinomique - il y a des styles nationaux, pas d'arts nationaux. Défini de cette façon, l'art juif est voué à la banalisation ou à la disparition.Z2

L'idée d'un art juif spécifique, d'essence populaire, est dépendante du projet national juif

L'idée d'un art juif nait en Occident au moment où disparaissent les communautés juives. Alors apparaissent des artistes juifs qui parfois traitent de thèmes juifs (Moritz Oppenheim, Edouard Moyse, Salomon Hart, Alexandra Laemlein, Maurycy Minkowski, Naoum Aronson, Henry Lévy, Kisling, le sculpteur Mark Antokolsfky et d'autres) mais pas toujours (p61), et en même temps, les collections d'art (objets cérémoniels).
Entre 1890 et 1920, la Russie est le cadre d'une effervescence artistique (p75). On parle de renaissance juive. Primitivisme et modernisme sont associés à la promotion de la langue yiddisch. Un courant ethnographique réunit les dessins et peintures, chandeliers, manuscrits illustrés, répertoires iconographiques et motifs décoratifs. Des artistes contemporains s'en inspirent : Shlomo Yudovin, El Lissitzky, Issachar Ryback, mais ils empruntent aussi aux formes cubistes, à l'abstraction et au constructivisme.
Des expositions d'artistes juifs se multiplient dans les années 1910 avec Ilya Ginzburg, Nathan Altman, Marc Chagall, Arnold Lakhovsky. D'inspiration parfois folkloriste, ils soutiennent la primauté de l'esprit sur la matière (comme les nombreux artistes symbolistes de cette époque). Ils adhèrent au modernisme et souvent au projet révolutionnaire. Mais il n'y a pas dans cette génération de forme homogène; elle finira par se disperser.Z3

Par l'art, le judaïsme a un lien avec les peuples qui l'entourent

L'art juif retient toujours des éléments stylistiques provenant d'autres peuples. Il évolue avec eux, mais avec un certain retard. Les courants artistiques ne l'atteignent pas tout de suite. Il conserve des formes anciennes - comme s'il fallait montrer sa propre antiquité. Il marque sa différence.
Les oeuvres juives peuvent être nordiques ou méridionales, de style gothique ou Renaissance. Cependant la pensée est la même (p80). La sémantique est constante, et l'espoir de salut est permanent.
On peut le dire pour l'art et aussi pour la langue. Les juifs se sont toujours servis de langues profanes proches de celles des peuples parmi lesquels ils vivaient.Z4

L'art juif traduit les promesses messianiques

Chaque persécution subie par les juifs s'est traduite par une poussée messianique : la destruction du temple, la révolte de Bar Kokhba (R. Aqiba), les persécutions du 4ème siècle, les croisades, les expulsions (hassidisme allemand), l'inquisition espagnole (Cabale messianique de Safed), les massacres du 17ème siècle en Pologne (nouveau hassidisme), les pogromes (sabbataisme), la shoah (Etat d'Israël), ...
Le chandelier à sept branches (menorah) en est le signe central. Source de lumière, il éclaire le temple, il resplendit. En architecture, l'orientation même de la synagogue (vers Jerusalem) annonce le messie. Une niche y est placée, avec l'arche d'alliance contenant la tora. L'arche annonce que le règne de la Loi sera rétabli. Elle est décorée (lions, oiseaux, chérubins). Le rideau, la verge florissante d'Aron, le chofar, l'encensoir, la jarre de manne, le récipient de l'huile d'onction ne sont pas des vestiges du temple détruit, mais les attributs du temple reconstruit par le messie. Les coupes de kidouch sont ornées d'une menorah et d'un temple messianique, souvent accompagnés du mot "paix". Amulettes, bijoux, lampes ont la même signification.
Les objets d'art et aussi le hors-texte des enluminures ont une portée ésotérique. Partout, l'imagination juive semble se hâter vers le messie (p74).Z5

L'expressionnisme est un courant juif de l'art car étranger, cosmopolite, coloré, violent, sans métier, sans forme, incohérent

Les tenants de l'art français des années 20-30 ont qualifié les peintres juifs de l'Ecole de Paris d'expressionnistes pour les déconsidérer : un art étranger, cosmopolite ou germanique, par opposition au classicisme et à l'esprit latin.
Il y a chez les artistes juifs un fauvisme pathétique, un style qui s'oppose radicalement au style français. Ce style est symbolisé par Soutine.
Bruno Zevi (historien de l'architecture) a dit en 1974 : "Le judaïsme en art s'appuie sur l'anti-classicisme, sur la dé-structuration expressionniste de la forme; il rejette les fétiches idéologiques du nombre d'or et célèbre la relativité; il dément les lois autoritaires du beau et choisit l'irrégularité du vrai et l'illégalité". C'est "l'unique mouvement prêt à démolir tous les tabous esthétiques et linguistiques sans en reconstruire immédiatement d'autres".
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Cette formulation a un caractère antisémite; mais beaucoup de Juifs [fiers de leur cosmopolitisme] ne la renieraient pas.Z6

Sources
A. Ruth Shararii, "Persévérance d'une voix", Galgal, 2007
B. Ruth Shararii, "Persévérance d'une voix", Galgal, 2006-7
B1 Angeline Lafauchais, "L'invocation d'autrui", Galgal, 2007
B2 Bernard Lestenbert, "Au bout de l'exil", Galgal, 2007
B3 Françoise Monnin, texte sur l'exposition de la Pinacothèque à Paris, 2007-8 (Connaissance des Arts)
B4 Marc Restellini, Panneau explicatif, dans une des salles de l'exposition sur Soutine présentée à la Pinacothèque de Paris, 2007-8
C. Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006
D. Ruth Shararii - "Persévérance d'une voix", Galgal, 2006-7
E. Ernest Namenyi, "L'esprit de l'art juif", Minuit, 1957, p. 28
F. Ernest Namenyi, "L'esprit de l'art juif", Minuit, 1957, p. 12
F1 Ruth Shararii, "Persévérance d'une voix", Galgal, 2007
F2 Daniel Arasse, "Anselm Kiefer", Ed du Regard, 2007, p. 155
F3 Daniel Arasse, "Anselm Kiefer", Ed du Regard, 2007, p. 212
F4 Mariette Temis, "La charge du faire", Galgal, 2007-12
G. Clement Greenberg, "Art et culture, essais critiques", Macula, 1988, p. 296
H. Catherine Strasser, "Anselm Kiefer : Chevirat Ha-Kelim, le bris des vases", Editions du Regard, 2000, p. 27
H1 Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006, p. 183
I. Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006, p. 156
J. Ernest Namenyi, "L'esprit de l'art juif", Minuit, 1957, p. 4
K. Ernest Namenyi, "L'esprit de l'art juif", Minuit, 1957, p. 24
L. Ernest Namenyi, "L'esprit de l'art juif", Minuit, 1957, p. 41
M. Ernest Namenyi, "L'esprit de l'art juif", Minuit, 1957, p. 39
N. Ernest Namenyi, "L'esprit de l'art juif", Minuit, 1957, p. 10
O. Ruth Shararii, "Persévérance d'une voix", Galgal, 2007
P. Manuelle Astorba, "La contamination des corps", Galgal, 2007
Q. Michael Fried, "Contre la théatralité - Du minimalisme à la photographie contemporaine", Gallimard, 2007, p. 47
R. Ruth Shararii, "Persévérance d'une voix", Galgal, 2007
T. Pierre Delayin, "Buées blanches sur le quai de l'Idve", Idixa.net, 1988-2011
U. Jacques Derrida, "Abraham, l'autre", In: "Judéités", Galilée, 2003, p. 40
V. Jacques Derrida, "L'écriture et la différence", Seuil, 1967, p. 21
W. Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006, p. 18
X. Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006, p. 147
Y. Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006, p. 130
Z. Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006, d'après pp. 13 et 17, entre autres
Z1 Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006, p. 18
Z2 Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006, p. 166
Z3 Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Biro Editeur, 2006, pp. 76-77
Z4 Ernest Namenyi - "L'esprit de l'art juif", Ed : Minuit, 1957, p. 59
Z5 Ernest Namenyi - "L'esprit de l'art juif", Ed : Minuit, 1957, p. 50
Z6 Dominique Jarrassé, "Existe-t-il un art juif?", Ed : Biro Editeur, 2006, p. 138-9

Dominique Jarrassé : Existe-t-il un art juif ? Débattue depuis des siècles, dans la France du Second Empire, en 1900 à Londres, dans la Russie révolutionnaire, à Berlin et à Vienne autour de Martin Buber et du mouvement sioniste, à Jérusalem avec les pionniers, dans le Montparnasse des années 20, à New York durant les sixties, la question " existe-t-il un art juif ? " semblerait insoluble. Régulièrement, les philosophes ou les théologiens s'enlisent dans l'analyse de l'interdit de l'image et les historiens de l'art ressassent, face au déni antisémite, les allusions archéologiques, exposent des judaïca et convoquent Modigliani, Chagall ou Barnett Newman... Quelle catégorie, en effet, pourrait recouvrir légitimement les antiquités bibliques, les objets de culte, des scènes de la vie du schtetl, un paysage de Pissarro et des toiles abstraites de Rothko ? Dominique Jarrassé réfléchit à la question elle-même et examine pourquoi la notion d'art juif a été si souvent manipulée, pourquoi tant d'avis divergents ont été émis. En montrant comment on a écrit l'histoire de l'art juif, il tord le cou à des appellations comme " école juive de Paris ", il dénonce l'usage fallacieux de concepts nationalistes ou biologiques comme " artistes juifs ", ainsi que les dérives d'un marché florissant... A la lecture de cet essai, il apparaît clairement que routes ces variations sur l'art juif ou les arts juifs sont d'abord des variations sur l'" être juif ".

12.4.13

Etimología de HEBREO


HEBREO, A. El gentilicio llegó al español a través del latín Hebraei, que lo tomó del griego antiguo Ἑϐραῖοι (Hebraioi), y éste a su vez del hebreo עברי (Ivrí).[1]

Los hebreos son un antiguo pueblo semítico del Medio Oriente y a ellos frecuentemente se refiere la Biblia, que contiene numerosas referencias y constituye la principal fuente de documentación en cuanto a ellos. Los hebreos son considerados como los ancestros de los israelitas y del pueblo judío. A veces se considera que los términos hebreo, israelita y judío son sinónimos, pero de hecho no lo son.

El pueblo hebreo tiene su origen en el primer patriarca bíblico, Abraham, quien siguiendo el llamado de Dios, llevando cabo lo pactado con el Todopoderoso (La Alianza), dejó su casa natal en Ur (en Caldea, Mesopotamia) para dirigirse hacia la Tierra Prometida, Canaán, en el poniente (siglo XV antes de la Era Común; véase Génesis 11:26-25:18).

Abraham se dirige a Cannaán
Detalle de un grabado de Gustave Doré de 1866

En hebreo, la palabra עבר (Heber) significa "pasar, cruzar o atravesar", es decir, "ir más allá". Pero este movimiento no es necesariamente solo uno geográfico o territorial. Según una antigua leyenda tradicional, Abraham fue el primero en destruir los ídolos paganos. El acto llevado a cabo por Abraham cuando aún era joven se denomina actualmente aniconismo. Lo importante de dicho proceder es que señala a Abraham como el primer individuo que en la historia de la humanidad logró ir más allá del paganismo: Abraham es extraordinario por su determinación gracias a la cual logró trascender el culto a los ídolos.

Sin precedentes: Abraham destruye los ídolos

En principio, hebreo significa entonces "el que pasa" en el sentido de transitar o, mejor aún, migrar. Hebreo es así "el que migra". Con todo, hebreo posee como término un sentido mucho más profundo. En la lengua hebrea ללכת מעבר למשהו (laléjet miheber le máshehu) significa literalmente "ir más allá de alguna cosa". Dicho con otras palabras, trascender.

Significativamente, Abraham trascendió la idolatría.

Por otra parte, en la lengua hebrea, Abraham significa tanto "Padre de Muchos Pueblos" como "Padre de Muchas Naciones". La Biblia indica que Abraham fue el padre de Isaac e Ismael, de quienes a su vez descenderían respectivamente los pueblos israelita y árabe.

Abraham significa "Padre de Muchas Naciones"

Reconciliación de los hijos de Abraham

Si bien nómade, Abraham era un hombre respetable y acaudalado. Además, y por sobre todas las cosas, fue el Elegido de Dios.

Abraham contempla las estrellas
Ephraim Moses Lilien, La Alianza de Abraham, 1908

Las palabras israelita y judío son posteriores. En la Biblia, Jacob (el tercer patriarca hebreo) recibe el nombre Israel y sus doce hijos formarán las doce tribus de Israel, a las que se conocerá como israelitas.[2] Los israelitas habitaron la Tierra Santa. El término judío, por otra parte, no tiene lugar en el Pentateuco (Cinco Libros de Moisés) sino solo posteriormente en la Biblia y designa ante todo a los miembros de la tribu isrealita de Judá (cuarto hijo de Jacob) y subsecuentemente a los habitantes de las tierras montañosas de Judea.[3] Históricamente, el antiguo Reino de Israel (que tuvo como monarcas a Saúl, David, y Salomón) en cierto momento se dividió en el Reino de Israel y el Reino de Judá, y fue este último el de mayor duración. No obstante el Reino de Judá más tarde fue derrotado por los asirios y sus habitantes, conducidos al exilio, fueron colectivamente conocidos como judíos, ya que provenían de Judea.

Símbolo hebreo de fertilidad y esperanza, la granada es típica de Tierra Santa, donde se la llama "rimmón."

El problema del DRAE

hebreo, a. "(Del lat. Hebraeus, este del hebr. ‘ibrī, y este quizá del acadio ẖapiru[m], paria)." -Diccionario de la real academia española, 22a edición, 2001

En el caso citado el problema del Diccionario de la real academia española es no solo de forma sino también de fondo, y por varios motivos.

1) Al proveer datos tales como definiciones o etimologías, un diccionario es un intrumento científico y no un campo propicio para la especulación ni de sus editores ni demás contribuyentes.

El "quizá" de la información etimológica de la palabra hebreo no informa NADA que haya sido ni comprobado ni aceptado por la comunidad científica. Es más, el "quizá" en cuestión puede inducir a la confusión.

Cada pueblo tiene el derecho legítimo e inalenable de definirse por sí mismo y no son sus vecinos ni tampoco sus enemigos quienes lo definen sino los propios intengrantes del pueblo en cuestión.

¿Qué nueva moda para nada moderna y muy siglo XXI es ésta que conduce a los miembros de la Real Academia Española a lanzar tamaña especulación no verificada?

¿Ahora resulta que la Biblia dejó de ser un punto de referencia para la cultura occidental?

¿O que algún rumor va a terminar dictándonos sus caprichos solo por el hecho de que pudiese existir alguna obtusa analogía entre el hebreo y el egipcio o el acadio?

No es el paganismo nostálgico el que va a definir la naturaleza del pueblo hebreo ni tampoco su legado que, recuérdesele, es uno de los pilares fundamentales sobre los que descansa la tradición occidental y su cultura.

Además, una posible asociación entre "ivri" y "apiru" es una verdaderamente traída de los pelos y ya ha sido categóricamente rechazada por importantes arqueólogos europeos.[4]

¿Para qué insistir entonces?

2) PARIA

Está totalmente fuera de lugar considerar a Abraham y sus descendientes paria cuando la Biblia misma indica exactamente todo lo contrario.

I. Un paria es un habitante de la India, de ínfima condición social, y excluido del sistema de castas hindúes.

Abraham no era de la India, ni era de ínfima condición social, ni tampoco un decastado. Al contrario, Abraham fue el primer monoteista y fue a su vez padre de ismaelitas y hebreos, y a través de estos últimos de la cristiandad toda.

II. Un paria es una persona excluida de las ventajas de que gozan las demás, e incluso de su trato, por ser considerada inferior.

Frente a los paganos idólatras Abraham no poseía desventaja ninguna. Precisamente lo opuesto es lo que emana de la Biblia y de tradición occidental (tanto judía como cristiana). Tampoco lo del tema de alguna supuesta inferioridad tiene acidero ninguno respecto al primer patriarca hebreo o lo que está escrito en la Biblia.

3) Tanto en su 22a edición impresa de 2001 como en la actual que puede consultarse en la línea en 2013, la etimología especulativa asignada por el DRAE al término hebreo presenta al DRAE como un diccionario tendencioso y antisemita,[5] y en el sentido más amplio que semita pueda abarcar, es decir, comprendiendo esto también a Jesús de Nazaret quien es fruto de ese grupo humano al que el DRAE tilda de "paria".[6]

Casa de Abraham
Pintura de Liles que conecta el Sacrificio de Isaac con el Arca de la Alianza, el León de Judá, y Jesús de Nazareth

4) En consecuencia es hora de enmendar. Vergüenza grande es para un hispanohablante que cuida su lengua el descubrir tamaña insinuación blasfema en un diccionario que por otra parte traiciona además a su propio lema, ya que aquí ni limpia, ni fija, ni da esplendor ninguno.

Citemos a San Pablo:

Y si la raíz es santa, también lo son las ramas. Pero si algunas de las ramas fueron desgajadas, y tú, siendo olivo silvestre, fuiste injertado entre ellas y compartes ahora la savia nutricia que te llega desde la raíz del olivo, no seas arrogante para con las ramas. Y si te jactas, sabe que no sustentas tú a la raíz, sino que es la raíz la que te sustenta a ti (Romanos, 11: 16-20).

Esposa de Abraham, Sara es madre del pueblo hebreo
Abel Pann, Y Sara sonrió, pastel, 1925

Consideraciones finales

El término hebreo proviene del latín Hebraei, y no de Hebraeus según sostiene el DRAE.

En su etimología, la entrada "hebreo, a" proporcionada por el DRAE:
a. provee un término erróneo en latín
b. carece de etimología en lengua griega
c. provee una correcta versión hebrea para el mismo
d. especula con el acadio para proponer un significado inadecuado e irrelevante.

Sugerencia para la próxima edición del DRAE

hebreo, a. "(del latín Hebraei, del griego antiguo Ἑϐραῖοι (Hebraioi), y éste del hebreo עברי (Ivrí)."

"Por los frutos los conoceréis" (Mateo 7:16)

Notas
1. Según la Biblia, Heber era uno de los hijos de Sem, quien a su vez era uno de los tres hijos de Noé. Como idioma, el hebreo es una lengua semítica, condición que comparte con otras tales como el fenicio, el arameo y el árabe. La influencia del hebreo sobre el español ha sido moderada en la cantidad de términos pero profunda en el alcance de los mismos. Proceden de la lengua hebrea las palabras Mesías, Jehová, querubín, serafín, sábado, amén, edén, Abraham, Moisés, pascua, hosanna, aleluya, Jerusalén, David, Salomon, Jesús y María, etc.
2. No confundir con israelíes, gentilicio que denomina la nacionalidad de propia de los ciudadanos del actual Estado Hebreo. Los individuos judíos en ese país son generalmente israelíes y, a su vez, los ciudadanos del actual Israel comprenden también grupos de ciudadanos árabes israelíes y ciudadanos cristianos israelíes. Así, israelita e israelí no son sinónimos.
3. Judá (o su variante griega Judea) designaba a una entidad político-territorial que existió en la región oriental del Mediterráneo, desde aproximadamente el siglo X antes de la Era Común y hasta el siglo I de la Era Común. Los habitantes de Judea eran los judíos, término que luego fue también aplicado a los que habían emigrado desde Judea y a sus descendientes.
4. WK: Certains valorisent une origine égyptienne, habirou, qui veut dire « nomades ». Un seul terme à consonance approchante, Apirou, est mentionné ailleurs. Ce terme, qui s'écrit aussi Hapirou ou Habirou, apparaît depuis le Dynastique archaïque jusqu'à la fin de l'Âge du Bronze. On le rencontre de la Mésopotamie à l'Anatolie et à l'Égypte. Il désigne principalement des marginaux vagabonds, parfois mercenaires et plus ou moins brigands. Les Apirou portent des noms d'origines ethniques variées : ils ne sont pas considérés comme une ethnie unique, mais comme un groupe socio-économique comportant plusieurs ethnies. Les Hébreux mentionnés par la Bible pourraient donc être l'une des nombreuses ethnies errantes exogènes regroupées sous le nom commun d'Apirou. Par contre, selon Olivier Rouault, « Le terme de Hapirou/Habirou a fait couler beaucoup d'encre, en partie en raison de sa ressemblance avec le nom des Hébreux, avec lequel il semble finalement n'avoir qu'un rapport lointain » (Dictionnaire de l'Antiquité, édition PUF, 2005, p. 1026; Shasou et Apirou dans les documents égyptiens; Anson F. Rainey, Unruly Elements in Late Bronze Canaanite Society, en Pomegranates and Golden Bells, ed. David Pearson Wright, David Noel Freedman y Avi Hurvitz, Eisenbrauns, 1995, p. 483. WK: "Modern scholars conclude that the attempts to relate apiru (Habiru) to the Hebrew word ibri (Hebrews) are not fruitful."
5. Etimología en la entrada hebreo según el DRAE, consultado 13.4.13.
6. San Pablo: "Hermanos míos, esos de mi propio pueblo, la gente de Israel. De ellos es la adopción como hijos [del Señor], la gloria divina, los pactos, la ley, las oraciones a Dios desde el Templo y el contar con Sus promesas. Suyos son los patriarcas, y desde ellos es trazado el linaje humano del Cristo" (Romanos, 9: 1-5).

El monoteísmo forma parte del acervo hebreo
Esta imagen (shékel israelita conmemortivo del primer año de la primera Gran Revuelta contra los Romanos en el 66 EC) presenta una inscripción en hebreo: "Jerusalén la Santa". Allí es precisamente donde la tradición sostiene que Abraham fue puesto a prueba y se dispuso a llevar a cabo el Sacrificio de Isaac. Jerusalén es donde convergen las tres grandes creencias monoteístas de la humanidad.

6.4.13

The Jewish Jesus




Ziva Amishai-Maisels, Jesus as a Jew in Jewish Art, The Jerusalem Post, Christian edition, 16 April 2009

From 1873 to this day, Jewish artists have been portraying Jesus as a Jew. This has never been just an "historical" approach to the subject, but was meant to convey specific messages to both Christians and Jews. To understand how this came about, we must go back to the theological origins of the debate concerning Jesus' origins. The modern study of Jesus' Jewish background officially began in Christian theology in 1778, with the publication of The Aims of Jesus and his Disciples by Hermann Samuel Reimarus. This approach was developed by both Christian and Jewish scholars in the nineteenth century, each group acting with different aims. Christians wished to better understand Jesus within his historical and theological context. Jews agreed with this, but had two additional main objectives. First of all, the Jews of the Emancipation, led by Moses Mendelssohn, were interested in building bridges between Judaism and Christianity. One way was in affirming Jesus' positive qualities, stressing that he had been a Law-abiding Jew who was not interested in destroying Judaism, and that he had spread Jewish ideas among the pagans. Thus Jesus could be allowed to enter the canon of Jewish teachers whose base was Judaism. This idea was affirmed in art in 1878-79 both by Mauricy Gottlieb in Poland, who portrayed Jesus wearing a prayer shawl as he preached in the synagogue in Capernaum, and by Max Liebermann in Germany, who depicted the 12-year-old Jesus in the Temple, surrounded by Jews dressed in a modern style. In both these paintings, the Jews display a range of emotions, from interest to skepticism, while they seriously contemplate Jesus' words. Both artists have stated that through these works they hoped to help make peace between Jews and Christians. However, Jews also had a second goal in stressing Jesus' Judaism. Faced with rising anti-Semitism throughout Europe and pogroms in Russia from 1871 on, Jewish writers and artists tried to explain to Christians that in persecuting Jews they were attacking the brothers of their Christ rather than emulating his example of humility and charity. The first Jewish artist to express these ideas was Mark Antokolsky, a Russian working in Rome, who in 1873 sculpted Jesus before his judges, stressing his Jewish facial features - a slightly hooked nose and side-curls - and depicting him in a skullcap and a costume that recalls a prayer shawl. He stated explicitly in his letters to his Russian Christian patrons that his purpose in doing so was to warn Christians that they were not abiding by Jesus' doctrines, and that in attacking Jews they were persecuting Jesus himself. Moreover, he claimed, if Jesus came again, he would rise up against an aggressive Christianity as he had once stood up against the Pharisees. This second use of Jesus, as a means of communicating with Christians through their own visual imagery, inspired many Jewish artists in the twentieth century. This symbolism reached its apogee in the period leading to World War II, when a group of Christian and Jewish artists took up this imagery and its message. In the White Crucifixion of 1938, Marc Chagall depicted Jesus wearing a head-cloth and a loincloth made from a prayer shawl. He is lit from on high by a ray of light and from below by a menora. He is mourned by the Jewish patriarchs and a matriarch, and surrounded by scenes of pogroms, in which Jews attempt to flee as Nazis burn their Torah Ark and books. In 1943, he took this symbolism even further in the Yellow Crucifixion: Jesus is crucified wearing his prayer shawl-loincloth and phylacteries, and is joined to an open Torah scroll placed on one of his arms. He is surrounded by refugees and by Jews who had tried to escape Germany aboard the Sturma, drowning when no country would allow them to debark. The following year, after the Nazis destroyed his home town, Chagall portrayed Jews in modern dress crucified in the streets of Vitebsk to make his message clear. Whereas the crucifixion became a basic motif in Chagall's work from that point on, he unambiguously defined what he wanted to portray: "My Christ, as I depict him, is always the type of the Jewish martyr, in pogroms and in our other troubles, and not otherwise." Chagall was not the only artist to use this imagery in this context. In 1933, German Christian Otto Pankok used a combination of Jewish and Gypsy features to portray Jesus as a victim of the Nazis. In 1942-43, the Jewish American artist Mark Rothko did a variation on the crucifixion, multiplying and breaking down Jesus' body into heads, torsos, arms and legs bearing the stigmata. This imagery still resounds in George Segal's The Holocaust of 1982-83, where a cruciform figure lies among corpses set behind barbed wire. In 1945, Jewish artists working in different parts of the globe, such as Abraham Rattner in New York and Marcel Janco in Tel Aviv, broadened this imagery by portraying the Pietà in which the skeletally thin Jesus is clearly a victim of the concentration camps. Two of the most obvious versions of this message were done during the war: in 1942, Mané-Katz portrayed Jesus leaning down from the cross to embrace his dead Jewish brethren in a painting meaningfully entitled Now ye are all brethren?, while in 1945 Josef Foshko depicted an aged Jew being crucified while calling out a pointed variation of Jesus' words: "Forgive them NOT, Father, for they KNOW what they do." Another noteworthy variation on this theme is a series of crucifixions done in Mexico by Jewish sculptor Mathias Goeritz, named Redeemer of Auschwitz. The most striking of these, done in 1951-53, is composed of burnt and broken bits of iron. Goeritz's message is that no one redeemed the victims of Auschwitz, and Jesus was burnt there in the crematorium along with his brothers. From the Holocaust on, a number of variations on this subject have infiltrated the Church itself. Thus, in 1944, the British Christian Graham Sutherland was commissioned to paint a crucifixion for St. Matthew's Church in Northampton, and in his sketches portrayed Jesus as a bald-headed, skeletal victim of the Holocaust. The final painting is more traditional, but the stress on the skeletal demeanor of Jesus' body was retained. Moreover, Chagall received numerous commissions to work for the Church, and in his stained glass windows executed in the 1960s and 1970s for Metz Cathedral, Zurich's Fraumünster and St. Stephen's in Mainz, he depicted Jesus with a prayer shawl for a loincloth, and occasionally with a phylactery on his head. But in these works Chagall was not only interested in stressing Jesus' Jewishness to Christians so that they might resist anti-Semitism, but also wished to fulfill the first mission of such imagery mentioned above: promoting peace between Jews and Christians by speaking also to the Jews. Thus in his Sacrifice of Isaac, part of his interfaith "Biblical Message" series of Old Testament scenes done in the 1950s-1960s, he placed Jesus carrying the cross surrounded by modern mourning and wandering Jews in the background. Whereas this is normative Christian imagery, as the sacrifice of Isaac is seen as a prefiguration of the crucifixion, it is done here in a way to stress the constant martyrdom of Jews. Moreover, in his painting Exodus of 1952-66, he showed Moses leading the ancient people of Israel, who now mingle with refugees from the Holocaust and the drowned victims of the Struma, all under the aegis of a gigantic image of Jesus crucified. When he did a variation on this theme in his Knesset tapestries in Jerusalem, he was precluded from using such a vivid Christian image. Here the Exodus moves from Moses on the right to Jerusalem and King David on the left, but a careful examination shows that in the small Sacrifice of Isaac on the left, behind Moses, Isaac lies on the altar in an inverted cruciform position. Chagall thus tried to get the message of the desired unity of Christians and Jews both to the Christians through their churches and to the Jews through the work decorating the main reception hall of Israel's parliament building.

Ziva Amishai-Maisels is a professor-emeritus in Art History at the Hebrew University in Jerusalem.

For more information on this subject, see her "The Jewish Jesus," Journal of Jewish Art, vol. 9 (1982), 84-104 and her Depiction and Interpretation: The Influence of the Holocaust on the Visual Arts, Oxford: Pergamon, 1993, Part 2, Chap. 3.

Chagall. One of the best-loved artists of the 20th century, Marc Chagall (1887-1985) is paradoxically one of the least understood. He did much to encourage an image of himself as an entirely intuitive genius, but although his work seems naive in style and iconography, he was in fact a complex and sophisticated individual. Prodigious is his output not only in painting but also in book illustration, theatre design, stained glass and poetry. To understand it one needs to follow Chagall critically all phases of the artist's long career, from his Russian-Jewish childhood, through his encounter with the Parisian avant-garde in the years prior to World War I and his activities in revolutionary Russia, to his later years in the South of France, where he died at the age of ninety-seven.


Marc Chagall, The White Crucifixion, 1938
oil on canvas
Art Institute of Chicago

Further reading
The White Crucifixion, Documenta, 2 April 2013. An exploration of Chagall's painting, its historical context, and importance in interfaith matters.